Sport sur ordonnance : l'essai n'est pas transformé



             Faute de modalités de financement et de référentiels d'organisation, les programmes de sport-santé sur ordonnance restent le fruit de volontés politiques locales. Entré en vigueur le 1er mars 2017, le décret relatif au sport-santé sur ordonnance n'a pas permis de généraliser de tels dispositifs sur l'ensemble du territoire. Pour lutter contre les inégalités, des acteurs de terrain proposent que ces dispositifs soient pilotés par les agences régionales de santé.

             C'est l'histoire d'une rencontre entre deux mondes qui se sont trop longtemps ignorés : la santé et le sport. Au 31 décembre 2016, le décret dit « sport sur ordonnance » du 30 décembre 2016 a scellé leur alliance de manière officielle. A l'époque, elle est jugée bien timide. Plus d'un an après, l'heure est au bilan d'étape, entre petites avancées et insuffisances, sur fond de volontés politiques qui tendent à diminuer à mesure que l'on s'éloigne du terrain et du mouvement sportif.

             Depuis le 1er mars 2017, les médecins généralistes qui le souhaitent peuvent donc prescrire une APA aux patients souffrant d'une ALD. Ce qui est le cas de 10 millions de Français. Avec le recul, le décret a ­plutôt conforté les collectivités qui n'avaient pas attendu le texte pour se lancer. "Pour nous, il n'a rien changé", admet Françoise Foli, adjointe au maire, chargée des sports à la mairie de Blagnac (23 800 hab., Haute-Garonne), dont le dispositif a bénéficié à 140 patients depuis 2011. "Il a peut-être davantage sensibilisé les professionnels de santé… pour autant, nous n'avons pas constaté d'augmentation du nombre de médecins prescripteurs." Vingt au total.

             Même constat du côté de Loïc Caron, directeur du service "sport-santé" à la mairie de Château-Thierry (14 600 hab. , Aisne), qui revendique 130 bénéficiaires depuis 2010 et dix médecins. "Nous espérions que le décret donne une impulsion au niveau des médecins partenaires. Ce ne fut pas le cas."

VOLONTÉ POLITIQUE
             Pourtant, "il existe une vraie dynamique au sein des collectivités", constate le Dr Guillaume Barucq, médecin généraliste et adjoint au maire de Biarritz (24 500 hab., Pyrénées-Atlantiques), chargé de l'environnement, de la qualité de vie et du bien-être. "Mais encore faut-il une volonté politique, comme c'est le cas chez nous depuis 2009." D'une manière générale, le nombre de villes engagées dans de tels programmes continue de croître, mais sans que la loi n'ait vraiment entraîné d'effet démultiplicateur. A ce jour, 63 collectivités sont impliquées. Depuis octobre 2015, elles sont regroupées au sein du réseau national des villes sport-santé sur ordonnance.
A Strasbourg (277 300 hab. ), référence française en la matière avec 2 000 malades chroniques entrés dans le programme depuis 2012, le Dr Alexandre Feltz n'est pas surpris. "Il faut considérer cette loi comme une base, avec ses apports et ses carences", souligne l'adjoint au maire, chargé de la santé publique. Il fait état d'un "dispositif législatif plutôt bon. En revanche, l'aspect réglementaire est très complexe". En effet, "si le décret d'application a le mérite d'identifier six types de professionnels qui peuvent mettre en œuvre les prescriptions médicales, il segmente les patients et la gravité de leur condition en fonction de ces professionnels. Pas simple de s'y retrouver".
Les insuffisances du texte ne se limitent toutefois pas à ces considérations techniques. En effet, aucune mention d'un type de financement ou d'un modèle d'organisation n'est exposée. Résultat, "c'est toujours le système D", résume le Dr Guillaume Barucq, à Biarritz. Et son confrère, le Dr Alexandre Feltz, d'ajouter : "Certaines collectivités financent et d'autres pas. Des agences régionales de santé (ARS) accompagnent tandis que d'autres restent en retrait, ce qui entraîne d'importantes disparités à l'échelle du pays." Et des inégalités sociales en matière d'accès aux soins, y compris, d'ailleurs, entre les territoires qui proposent de tels programmes.
Si la pratique d'activités physiques adaptées est généralement gratuite la première année pour les patients, elle fait ensuite l'objet d'une tarification solidaire différente selon les collectivités. Avec un reste à charge qui oscille entre 10 euros et 100 euros par an, selon les ressources des bénéficiaires les années suivantes.

GISEMENT D'EMPLOIS
             Auteur d'une mission flash sur ce décret, le député de Moselle Belkhir Belhaddad a pointé cette absence de financement de l'État comme "un défaut majeur". A ses yeux, "la question est désormais de savoir comment, à partir des expériences locales, nous arrivons à construire un modèle économique efficient et partenarial". Sa réponse tient en deux points : "Un, que les ARS se posent en chefs de file. Et deux, que l'on instaure une prise en charge, même modeste, de l'assurance maladie." Il cite l'exemple des Bouches-du-Rhône, où la caisse primaire d'assurance maladie participe, à hauteur d'un tiers, au coût des activités physiques prescrites aux femmes ayant souffert d'un cancer du sein. Le reste est assumé par les mutuelles et par les patientes. A la lumière de son travail (18 auditions), le député est "persuadé que l'assurance maladie peut avoir un effet de levier. Ce qui peut inciter des collectivités à s'engager au même titre que d'autres acteurs comme les mutuelles".
Dans son rapport, il met également en évidence un autre bénéfice potentiel à une généralisation des dispositifs de sport-santé sur ordonnance : l'emploi.

             "Le Comité national olympique et sportif français estime entre 10 000 et 20 000 le nombre d'emplois qui pourraient être créés dans le secteur de l'enseignement des APA-S [activités physiques et adaptées et santé, ndlr]", rapporte-t-il. Depuis Blagnac, Françoise Foli confirme : "C'est un gisement d'emploi important, notamment au sein des collectivités. Nous avons fait le choix de conserver quatre éducateurs sportifs. Mais très peu de communes se le permettent, en tout cas dans notre département. Pendant ce temps, l'université continue de former des jeunes motivés. Mais pour quelle finalité si les collectivités ne peuvent pas les embaucher»? Et Belkhir Belhaddad de changer de ton : "Il est urgent que L'État prenne ses responsabilités." Une façon de dire que l'implication dans le sport-santé, et a fortiori dans la prévention, doit cesser d'être assimilée à des coûts mais à de l'investissement...

UNE PREMIÈRE MAISON DU SPORT-SANTÉ
             L'avenir passera-t-il par l'implantation de maisons du sport-santé, une proposition du candidat Macron ? La ministre des Sports Laura Flessel a confirmé la volonté de déployer 500 maisons de ce type en France. Sans en préciser le mode de financement. Au mois de juin, à Strasbourg, une délibération devrait être prise en conseil pour rénover les bains municipaux et y installer une maison du sport-santé ainsi qu'une structure de type "living lab", centrée sur le croisement de ces thématiques. En attendant, dans de nombreuses villes du réseau sport-santé sur ordonnance, l'enjeu du moment est surtout d'inciter les patients qui sortent du dispositif à poursuivre une activité physique. Dès 2014, la ville de Blagnac a tenté d'y répondre "en instaurant une sorte de tuilage entre le dispositif et les clubs, afin que la transition soit moins brutale", confie Françoise Foli. "Il est assuré par un éducateur sportif de la ville." Mais la problématique est aussi économique, avec des prix de licences parfois trop élevés pour des personnes en situation de précarité. La solution pourrait passer par des licences spécifiques sport-santé, moins chères que les formules classiques.

AVANTAGE
             Grâce aux dispositifs de sport-santé sur ordonnance, des séances d'activité physique adaptée sont prescrites à des malades.

INCONVÉNIENT
             Les textes ne décrivent ni modèle d'organisation ni financement, ce qui tend à creuser les inégalités de santé entre les territoires qui financent ces programmes et les autres.

L'EXPERT FRÉDÉRIC BIZARD, économiste de la santé, professeur à Sciences-po Paris - "Quand un texte élude la question financière... "

             "Dans l'absolu, l'exercice physique ne devrait pas avoir besoin d'un décret ! C'est toute une politique à conduire. Et quand un texte élude la question du financement d'une action, il y a peu de chances qu'elle prospère... Ce décret montre aussi que la réflexion est centrée sur les malades, notamment en affection de longue durée. Mais il faut cibler les personnes à risque d'être malade de façon à ce qu'elles entrent en ALD le plus tard possible. Il convient donc d'agir en amont et ce n'est pas forcément aux collectivités de le faire, mais à l'État, en menant une politique globale."
90 Md€.
C'est le coût représenté par la prise en charge des 10 millions de patients en affection de longue durée en France. Soit près de 60 % des dépenses de l'assurance maladie et une augmentation estimée à 28 % par rapport à 2013.

TÉMOIGNAGE - "Nous ciblons, pour l'instant, les patients souffrant de quatre types de pathologie"

             "Notre dispositif de sport-santé sur ordonnance a été lancé le 1er septembre 2017. L'impulsion n'a donc pas été donnée par la loi puisque nous travaillions sur le sujet avant la publication des décrets. Nous ciblons, pour l'instant, les patients souffrant de quatre types de pathologies : le diabète, les maladies rhumatismales (arthrose... ), les affections psychiatriques et l'obésité chez les enfants. A ce stade, 103 bénéficiaires, habitants de la ville, sont pris en charge, sous l'égide de 58 médecins prescripteurs. Nous leur proposons 30 séances spécifiques, encadrées par l'un des douze éducateurs sportifs de la ville. A l'année, nous sommes en mesure de prendre en charge 300 personnes. Supporté par la ville, le budget annuel est de 200 000 euros.
Nous avons également instauré une sorte de coaching pour permettre aux bénéficiaires de poursuivre une pratique dans l'un des clubs de la ville."


Source : La Gazette.fr