Le mouvement sportif pleure ses contrats aidés

Le 15/11/2017



             Coûteux, les emplois aidés seraient également inefficaces en matière d'insertion professionnelle, selon le Gouvernement. Déjà contraints par des baisses de subventions des collectivités, les représentants du monde sportif s'élèvent contre la diminution annoncée du nombre de ces contrats. Car si certains concèdent qu'il y avait des abus, bien accompagnés ces contrats pouvaient être un tremplin vers l'emploi. Une nouvelle fois, le sport n'est-il pas considéré comme une variable d'ajustement?

             L'ambiance était plutôt bon enfant en ce samedi 30 septembre qui marquait la rentrée associative à Nantes (Loire-Atlantique). Plus de 180 associations avaient dressé leur stand dans l'immense hall de la Cité des congrès pour faire découvrir leurs activités. Et tout à coup, un... cercueil! Il était porté par quatre représentants d'associations locales qui cheminaient dans les allées. «C'est le cercueil des emplois aidés », lance l'un d'eux, un sourire de façade ne masquant ni inquiétude ni colère.


Situation d'urgence

             Cette colère trouve son origine au beau milieu de l'été dernier, précisément le 9 août, en séance plénière à l'Assemblée nationale. Interrogée sur ce sujet des contrats aidés, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, explique « avoir trouvé, en mai, la situation suivante: 70 % du budget de l'année était consommé, avec une sous-budgétisation et une surconsommation ». Face à ce qu'elle décrit comme une « situation d'urgence [...], nous avons créé 110000 contrats aidés supplémentaires pour finir l'année », poursuit-elle. Elle saisit surtout l'opportunité pour aborder « le fond du sujet ». Sans pincettes: « les contrats aidés sont extrêmement coûteux pour la nation. Ils ne sont pas efficaces dans la lutte contre le chômage. Ils ne sont pas un tremplin pour l'insertion professionnelle ».

             S'appuyant sur des études réalisées notamment par la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques, la Dares (lire encadré ci dessous), elle cite alors différents chiffres: « dans le secteur marchand, où l'État les prend en charge à hauteur de 35 % du Smic, ces contrats constituent un très fort effet d'aubaine: 63 % des contrats dans ce secteur auraient été signés sans l'aide de l'État, par les mêmes personnes et au même moment. Le rapport entre l'efficacité et le coût du dispositif est très mauvais: sept contrats aidés doivent être signés pour créer un emploi. Dans le secteur non marchand, l'État les prend en charge à hauteur de 75 % du Smic - davantage en Outre-mer -, mais le taux d'insertion reste très faible: seuls 26 % des bénéficiaires trouvent un emploi de longue durée ».

Un frein à l'embauche?
             En mars 2017, la Dares a publié une étude sur les objectifs des contrats aidés et le bilan de cette politique. «À court terme, les contrats aidés, particulièrement ceux du secteur non marchand, permettent de soutenir efficacement l'emploi », souligne-t-elle. «Ainsi, on estime que 21000 emplois ont été créés en 2015 grâce à l'augmentation du nombre de contrats aidés: 13000 dans le secteur non marchand, 4000 dans le secteur marchand et 4000 dans les structures de l'insertion par l'activité économique ». À plus long terme, en revanche, les effets sur l'insertion professionnelle apparaissent plus mitigés. «Si le passage en contrat aidé du secteur marchand semble avoir un effet positif sur la reprise d'emploi, les contrats aidés du secteur non marchand semblent plutôt, au vu des études existantes, réduire légèrement les chances d'être en emploi non aidé après la fin du contrat ». Pour lire le compte rendu de l'étude, rendez-vous sur: http://bit.ly/2v6Msau


Résultats mitigés

             Quelques semaines plus tard, ces propos ont été traduits dans le projet de loi de finances pour 2018, avec « une politique de l'emploi qui privilégie la formation professionnelle plutôt que les contrats aidés ». Résultat: 200000 contrats aidés seront financés en 2018 contre 310000 en 2017. Pour rappel, 460000 l'avaient été en 2016, ce qui illustre que la tendance était déjà à la baisse. Ces dispositifs seront recentrés et ciblés sur des publics spécifiques: accompagnement des élèves handicapés en milieu scolaire, urgence sanitaire et sociale. Ainsi que sur des territoires prioritaires: Outre-mer et communes rurales.

             Le sport ne figure donc pas parmi ces champs privilégiés. Il existe trois catégories de dispositifs pour soutenir l'emploi sportif : les emplois CNDS (Centre national pour le développement du sport), les emplois aidés (CUI-CAE) et les emplois aidés des collectivités territoriales, à l'image des emplois tremplins des régions par exemple. Or, une étude de l'Inspection générale de la jeunesse et des sports d'avril 2016 avait déjà mis en évidence des résultats mitigés. Avec un nombre d'emplois pérennisés qui, sur la période 1996-2015, n'a pas été à la hauteur des moyens alloués. Et un impact faible sur l'augmentation de la pratique sportive licenciée (lire encadré ci dessous).

Un gisement limité d'emplois
             Depuis le 1er janvier 2010, dans le périmètre ministériel chargé de la jeunesse et des sports, 242000 personnes ont bénéficié d'une convention d'emploi aidé, sous la forme d'un contrat unique d'insertion-contrat d'accompagnement dans l'emploi (CUI-CAE) ou d'un emploi d'avenir. Au 31 décembre 2015, parmi les 54830 bénéficiaires en emploi, un sur deux était âgé de moins de 26 ans. Et la moitié également (54 %) avait un niveau de formation égal ou supérieur au baccalauréat. Les associations constituent le principal employeur de ces contrats aidés. Près de la moitié des bénéficiaires exercent à temps complet. Ils ne sont que 19 % en CUI-CAE mais 85 % en emploi d'avenir. Dans les métiers spécifiques du sport et de l'animation, les éducateurs sportifs et les animateurs de loisirs auprès des jeunes regroupaient les trois quarts des 21300 bénéficiaires. De 1996 à 2013, le Plan sport emploi et le Programme nouveaux services-emplois jeunes avaient permis la création de 22080 emplois pérennes (soit 28,5 % des emplois associatifs comptabilisés en 2013 dans le domaine sportif). Dans son rapport, l'Inspection générale de la jeunesse et des sports souligne que « tous ces dispositifs ont eu leur utilité. Mais au regard du fait que les associations sportives employeurs, estimées à 31000, ne représentent que 19 % des 165000 associations affiliées aux fédérations sportives agréées, le gisement d'emplois apparaît relativement limité et si l'emploi a pu se maintenir, c'est principalement grâce aux soutiens publics locaux ». Pour accéder à l'étude sur l'évaluation des dispositifs de soutien à l'emploi dans le champ du sport : http://bit.ly/2sQfQEy


Injuste

             Sur le terrain, la grille de lecture est différente. D'après le Cosmos qui se définit comme une « organisation représentant tous les employeurs du sport », les contrats aidés « représentent près de 20 % des emplois et participent à la professionnalisation du secteur ». Lequel compte environ 125000 emplois rien que dans le privé. Ces dernières semaines, des centaines d'articles de presse ont relaté les inquiétudes des associations, qui redoutent de mettre fin à des postes d'éducateur. À l'image du club de tir à l'arc des Archers de Boé, dans le Lot-et-Garonne. «Nous avons un contrat qui est dans sa première année. Nous allons essayer de trouver des ressources pour le conserver mais rien n'est moins sûr », explique Jean-Marie Tovo, le président, qui est par ailleurs à la tête du Comité départemental olympique et sportif (CDOS).

             À court ou moyen terme, il estime qu'une « trentaine de postes ne sera pas renouvelée dans le département. C'est énorme ». Et injuste aussi selon lui. «Depuis 2002, nous sommes parvenus à pérenniser par ce biais, une cinquantaine d'emplois d'éducateur sportif dans les clubs », enchaîne-t-il. Avec une approche financière à la fois fine et rodée pour chacun des contrats, avec outre l'État, une participation financière systématique du comité auquel le club est affilié et du conseil départemental. «Le club abonde à hauteur d'à peine la moitié du contrat.» Sur cette base, Jean-Marie Tovo est convaincu de l'effet tremplin vers l'emploi des contrats aidés. Du coup, il a « l'impression de payer pour les collectivités, notamment les grandes qui ne respectent pas ces contrats. Il fallait faire le ménage là où il y a des abus, comme cela nous est aussi arrivé de le faire dans notre domaine ». Il fait référence à certains clubs qui, pour convaincre des joueurs ou joueuses de les rejoindre, n'hésitent pas à proposer des contrats aidés. «Dans ce cas-là, nous sanctionnons le club en ne l'aidant plus, car c'est inadmissible ».


Pris de court

             Au-delà de cette colère, les acteurs du sport dénoncent en bloc la brutalité de l'annonce. «Oui, de nombreuses inquiétudes nous remontent », glisse Florence Bariseau, vice--présidente (Les Républicains et apparentés) du conseil régional des Hauts-de-France, en charge de la jeunesse et des sports. Mais « c'est surtout la brutalité de la décision, sans annonce d'une éventuelle évaluation du dispositif, qui a interpellé ». Le terme « brutalité » est aussi employé par Marc Sanchez, président de l'Association nationale des élus en charge du sport (Andes) qui s'arrête sur la forme comme sur le fond du dossier. «Le monde sportif est pris totalement de court. Nous n'avons même pas eu le temps de dresser un état des lieux précis de la situation. Sans parler de certains clubs bien sûr, qui ne sont pas certains du tout de renouveler des contrats en cours. Nous aurions quand même préféré qu'on laisse un peu de temps à chacun de s'organiser. Là, il n'y a même pas eu de dialogue ».

             Face à cette situation et une lecture très politique de la situation, les collectivités n'ont que peu de leviers d'action. Si ce n'est l'attaque, à l'image de Johanna Rolland, maire (PS) de Nantes, qui ne manque pas l'occasion de la venue d'un ou d'une ministre, dans sa ville, pour aborder la question. Frontalement, le plus souvent. Par ailleurs, le conseil municipal a voté le 6 octobre dernier, l'adoption d'un vœu contre la décision du Gouvernement de supprimer les emplois aidés. Grenoble Alpes Métropole (Isère) aussi a adopté un vœu. Une façon d'affirmer son opposition et de « partager les inquiétudes des associations », souligne Pascal Bolo, premier adjoint à la mairie de Nantes. «Supprimer les emplois aidés, c'est mettre en difficulté les bénévoles. C'est un outil utile. Pour les personnes embauchées, loin de l'emploi, ce peut être une chance. Pour les structures associatives, c'est franchir un cap, se développer. Pour nous, leur remplacement par des services civiques ne constitue pas une bonne solution ».


Projet de formation

             Conseiller régional (Les Républicains) du Grand Est en charge des sports et membre du conseil d'administration du CNDS, Jean-Paul Omeyer constate également des « remontées d'associations inquiètes » sur son territoire. Mais, « ma position sur ce sujet et claire: les emplois aidés peuvent être une source d'embauche, sous réserve qu'ils soient accompagnés d'un vrai projet de formation. Trop d'associations prennent ce type de poste sans avoir la structure budgétaire susceptible de maintenir l'emploi lorsque les aides s'arrêtent. D'où l'intérêt parfois de mutualiser des moyens sur un même bassin de vie ».

             Et Marc Sanchez de conclure: « nous ne refusons pas de faire des efforts. Mais cela risque quand même d'être un rude coup porté au bénévolat, à court ou moyen terme.Nous déplorons quand même que le sport soit une nouvelle fois considéré comme une variable d'ajustement », en référence également à la baisse du budget sport du ministère (- 7 %). Et tout cela, quelques jours après l'attribution des Jeux olympiques de 2024, à Paris.


Source : les acteurs du sport