Le bénévolat sportif en quête de sens



             Encadrer, entraîner, accompagner, les bénévoles sportifs seraient plus de 3,5 millions en France. Et contrairement aux idées reçues, ce nombre est même plutôt en augmentation. Mais la nature de leur engagement évolue, plus parcellaire, limitée dans le temps et avec des attentes précises. Au point que fidéliser les bénévoles devient un véritable enjeu y compris en abordant la délicate question du défraiement et de l'accès à l'emploi. Pour les clubs mais aussi pour les collectivités car sans les bénévoles, plus de sport.

Existe-t-il une crise du bénévolat en France ? "Non" répondait en 2004 (1), le regretté Frédéric Bolotny, professeur au Centre de droit et d'économie du sport de Limoges (Haute-Vienne), en référence à un "certain catastrophisme ambiant".

Treize ans plus tard, l'idée selon laquelle, "il n'y aurait plus de bénévoles", notamment dans les associations sportives, apparaît toujours aussi répandue dans la société.
Elle se heurte toutefois aux chiffres. Depuis 2004, l'association Recherches & solidarités explore les grandes tendances de l'engagement bénévole en France. D'une manière générale, leur nombre ne cesse d'augmenter, ces dernières années, passant par exemple de 12,5 millions à 13 millions entre 2013 et 2016. Les associations sportives en rassembleraient environ 3,5 millions, des hommes en majorité (63 %).
À noter que ces derniers sont 28 % plus nombreux en proportion que dans les autres secteurs associatifs. Et les femmes, 16 % moins nombreuses(2).

Bénévole et... bénévole
             Mais il y a bénévole et... bénévole ! En 2013, les 2es Assises du sport à Rennes avaient fait ressortir différentes catégories: le bénévole administratif (dirigeant), le bénévole technique (animateur, encadrant) et le bénévole événementiel, qui intervient ponctuellement lors d'une manifestation ou d'une compétition. De cette typologie, étaient ressortis deux profils de bénévoles : l'un, engagé, qui va pleinement adhérer et participer au développement de l'association, l'autre, le distancié, qui donnera du temps pour une occasion ponctuelle. D'une manière générale, les bénévoles du sport seraient aussi plutôt heureux de leur sort, comme l'explique Jacques Malet, président de Recherches & solidarités et coauteur de "La France bénévole" avec Cécile Bazin. "Dans deux cas sur trois, ils affichent leur satisfaction et même leur optimisme lorsque nous les interrogeons", souligne-t-il.

             Avant d'apporter une nuance d'importance : "lorsque l'on s'adresse aux responsables des associations, le discours change.
Là, oui, ils rament pour trouver des bénévoles qui acceptent de s'engager, dans les bureaux, pour des fonctions de président, de trésorier ou autre secrétaire général. La crise du bénévolat se situe davantage à ce niveau".

             Celui des bénévoles engagés.

Crise de responsabilités
             Cinquante ans de bénévolat derrière lui, l'ancien président de la Fédération française d'athlétisme et actuel vice-président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), Bernard Amsalem approuve.

             "Nous sommes face à une crise des responsabilités. Pas de l'engagement associatif". Les postes de dirigeants rebuteraient pour deux raisons principales citées par Paul Dubois, secrétaire général de la Fédération nationale des offices municipaux des sports (FNOMS) : "un, les gens hésitent à s'investir par manque de temps alors que le volume horaire d'un poste de dirigeant est compliqué à évaluer. Deux, ils redoutent les conséquences juridiques inhérentes à un poste de président ou de trésorier par exemple".

L'équivalent de 274000 ETP
             Dans une étude réalisée pour le compte du CNOSF et citée par le cabinet Olbia Conseil (1), la valorisation financière du bénévolat sportif a été estimée à 7,5 milliards d'euros ! Un travail du CNRS ajoute que les 5,7 millions de participations annuelles bénévoles dans le sport représentent également l'équivalent de 274000 emplois à temps plein (ETP).
             Contre 189000 ETP pour le bénévolat dans la culture ou 171000 ETP dans la santé et le social. Soit un "impact considérable sur le fonctionnement d'un secteur associatif qui emploie 104000 salariés. C'est 2,5 fois plus ! ", poursuit le cabinet. Lequel ajoute que le budget moyen d'une association sportive est de 29350 euros alors qu'il dépasse les 65000 euros pour l'ensemble des associations des autres secteurs. (1) Après 2017 - 8 débats sur l'avenir du sport français - Fédérations et associations sportives : vers un nouveau modèle de développement.


Frustration du bénévole
             À l'occasion de ses travaux successifs, l'équipe de Recherches & solidarités a pourtant constaté que la quête de responsabilités arrivait en tête des motivations des nouveaux engagés (29 %). En particulier parmi les jeunes. Mais au bout de quelques années d'exercice, celle-ci retombe au point de n'être plus partagée que par 22 % de ces mêmes bénévoles."Une tendance préoccupante dans la mesure où elle traduit une certaine frustration susceptible, à terme, d'entraîner l'abandon du bénévolat", soulignent-ils. Sans compter que "l'image du président qui court partout et qui croule sous les dossiers administratifs ne donne pas forcément envie aux éventuels candidats de s'engager", enchaîne Jacques Malet.
             "Cette attitude est néfaste. Une solution pour faciliter la transmission et se partager les responsabilités des postes, serait de mettre systématiquement en place des binômes ou des trinômes".

Plus parcellaire
             Ces dernières années, Jacques Malet a également constaté un "basculement légitime vers un état d'esprit où il ne convient plus d'être simplement volontaire pour être bénévole. Il faut avoir des compétences". La nature de l'engagement a aussi évolué "devenant plus parcellaire, limitée dans le temps et avec des attentes précises, quelles qu'elles soient". Avec en toile de fond, le défi de la fidélisation des bénévoles. Pour Paul Dubois - tout comme Jacques Malet (lire l'interview) - la solution passe par "l'élaboration d'un projet associatif. Ce document permet vraiment de cristalliser l'ensemble de l'engagement des bénévoles. Le projet sportif est souvent trop important au regard du projet associatif. D'ailleurs on parle plus souvent de licenciés que d'adhérents. En pratique, cela commencerait par un accueil spécifique du nouveau bénévole, pour lui expliquer à quoi il adhère, détailler le fonctionnement de la structure, l'objectif commun. Nous parlons d'une adhésion et non d'une prestation... ".

Écoutés, valorisés, reconnus
             "Fidéliser des bénévoles est effectivement plus simple sur une épreuve renommée que pour faire tourner un petit club", confirme Yves Cordier, chef d'orchestre des triathlons IronMan de Nice et encore de Vichy. L'organisation du premier requiert 1500 "volontaires", pour 2000 à 2500 athlètes. "Plus de huit sur dix reviennent d'une année sur l'autre".

             Sa recette ? "Faire en sorte de les responsabiliser, qu'ils se sentent écoutés, valorisés et reconnus. Nous nous appuyons également beaucoup sur les clubs, associations et comités des fêtes locaux. Avec, autant que possible, un retour de notre part dans l'année, sur des prêts de matériels ou autre. C'est un échange". Il pointe toutefois une difficulté sur le poste de commissaire, ces hommes et femmes qui assurent la sécurité des carrefours. Un rôle crucial sur le plan de la sécurité. Or, "il est de plus en plus compliqué d'en trouver. À tel point que l'on peut s'orienter vers du défraiement personnalisé ou le recours à des agences d'intérim"!

Emploi déguisé ?
             "Défraiement", le mot tabou est lâché. "Effectivement, nous constatons parfois que le budget déplacement pèse lourd dans le bilan de certaines associations. Il y a des abus", glisse Jean-Christophe Hortolan, vice-président en charge des sports de la communauté de communes Lavalette-Tude-Dronne, dans le sud-Charentes.
Maître de conférences à l'université Toulouse III--Paul Sabatier et ancien directeur des sports à la mairie de Grenoble (Isère), Éric Adamkiewicz s'interroge :"dans les soi-disant 3,5 millions de bénévoles sportifs, compte-t-on les entraîneurs qui touchent une indemnité ? Un entraîneur indemnisé n'est pas un bénévole. C'est un emploi déguisé.
             Et cette logique tordue est en train de basculer au niveau administratif avec des indemnités kilométriques et autres frais de réunions !

             En plus, ce type de comportement non pas malhonnête mais déviant, empêche l'association de se structurer pour l'embauche de vrais emplois avec de vrais statuts".

En chantier
             Quelle est l'ampleur du phénomène dans les 320 000 associations sportives françaises ? Impossible à dire... Dans ce contexte, les questions autour de la sécurité juridique et de la création d'un véritable statut du bénévole représentent de véritables serpents de mer. Lorsqu'il était en campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait évoqué "la mise en œuvre d'un plan de valorisation du bénévolat avec le renforcement de la protection des bénévoles en matière de responsabilité personnelle et le renforcement du mécénat de compétence". Le chantier est-il lancé ?
Interrogé sur le sujet, le ministère des Sports n'a pas répondu à nos questions.
             Il faut dire qu'il a été sollicité au cœur de l'affaire Bernard Laporte et des accusations de favoritisme qui entourent le président de la Fédération française de rugby.
Un président bénévole.


(1) "Y a plus de bénévoles", paru dans la Revue juridique et économique du sport n° 71 de juin 2004, p. 35.
(2) "Le sport en France: repères, chiffres-clés et paroles d'acteurs", avril 2014.



Source :Acteurs du Sport