Dopage : "redonner une voix à l'Europe au sein de l'AMA", priorité de Fourneyron



             La ministre des Sports Valérie Fourneyron se rend ce week-end à Montréal en tant que représentante de l'Europe au sein du comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage (AMA), avec comme priorité "de redonner une voix à l'Europe au sein de l'AMA", explique-t-elle dans un entretien à l'AFP.

             Q: Dans quel état d'esprit vous rendez-vous à Montréal?
R: "Ces dernières années, globalement, l'Europe ne pèse plus et ne parle pas d'une voix unanime dans la lutte contre le dopage.
A l'occasion des Jeux de Londres, je me suis aperçue encore plus qu'on avait besoin pour l'Europe de reprendre une voix forte, clairement, au sein de l'AMA. C'est tout de même l'Europe qui avait poussé à la mise en place de l'AMA il y a plus de dix ans. J'ai senti qu'au sein de l'AMA même il y avait aussi cette volonté et cette envie. Ma priorité est donc de redonner une voix à l'Europe au sein de l'AMA".

             Q: Quelle est la particularité de la voix de l'Europe?
R: "Je ne sais pas s'il y a une particularité du discours européen. Mais il y a plusieurs messages. D'abord celui qui est de dire +pas d'impunité sur le dopage+. Ensuite, celui de dire qu'on souhaite être présent sur l'ensemble des enjeux. On l'a vu avec l'affaire Armstrong: un grand débat porte sur la juste responsabilité des uns et des autres, entre les fédérations internationales et les autorités indépendantes de contrôle antidopage. Cela doit inspirer notre réflexion dans l'optique de la révision du code mondial. De même, il y a un débat sur les durées de suspension. Est-ce qu'on doit sanctionner de la même façon EPO, cannabis, no-show? Ce débat intéresse beaucoup l'Europe car cela touche à la liberté individuelle et aux données personnelles, avec la directive européenne (actuellement en révision, ndlr) sur la protection des données individuelles. Celle-ci pourrait être un frein dans la transmission des informations dans le cadre de la lutte antidopage. Ca, cela n'intéresse que les Européens, par exemple."

             Q: Au sein de l'Europe, quelle sera la voix de la France?
R: "J'ai le souhait que la France puisse coordonner la voix de l'Europe. Par le passé, un des éléments qui a fragilisé le voix de la France, c'est le changement en permanence de ministre (des Sports). Ce n'est pas simple en termes de parole politique. La vision que j'ai proposée est la suivante: la France a beaucoup à apporter, mais elle a aussi beaucoup à y gagner. J'aborde cette responsabilité avec le souci de faire vivre une parole de l'Europe. On a besoin de parler, de faire tout ce travail collectif qui a largement failli ces dernières années".

             Q: Quelle va-t-être votre méthode de travail?
R: "Il ne faut pas y arriver avec orgueil. Si on veut parler d'une voix forte, il faut le faire en ayant conscience qu'il y a d'autres pays qui n'ont pas les mêmes moyens, les mêmes agences qu'en France ou en Europe. Et puis, au sein de l'Europe, on sent que des positions qui pouvaient paraître pour le moins éloignées se sont aujourd'hui considérablement rapprochées. On voit par exemple que l'agence espagnole a dit qu'elle allait faire appel de la décision sur Fuentes (ndlr: le médecin espagnol Eufemiano Fuentes, principal accusé de l'affaire de dopage dite Puerto, a été condamné à un an de prison seulement)".

             Q: Quels dossiers prioritaires allez-vous porter à Montréal?
R: "La réunion de samedi va essentiellement porter sur la révision du code mondial antidopage. Je vais notamment réaffirmer la position de l'Europe sur les sanctions. Nous soutenons le passage d'une sanction de deux à quatre ans en cas de faute avec des produits graves, ce qui est actuellement écrit dans la version 3.0 du projet. Par ailleurs, il y a un débat sur ce qui détermine la liste des produits interdits. Actuellement, il faut que deux des trois critères suivants soient remplis: l'amélioration des performances, la dangerosité du produit pour la santé du sportif, et le manquement à l'éthique sportive. La version actuelle propose de faire du premier point un critère obligatoire, auquel on ajouterait un des deux autres. C'est quelque chose qui ne plaît pas aux Européens, attentifs à tout ce qui est santé, prévention et éducation. Or, en faisant passer la notion de performance comme première, on oublie un peu la dimension prévention. Enfin, la révision du code prévoit de renforcer l'indépendance des organisations nationales de lutte contre le dopage. Et je dirais que l'Europe, sur ce point, estime que le code va dans le bon sens".

             Q: A la fin de l'année, la présidence de l'AMA va revenir dans le giron sportif. Quelle est votre réflexion à ce sujet?
R: "C'est l'équilibre entre les grandes instances sportives qui va être décisif à la fin de l'année. Il y a l'AMA, le CIO et Sportaccord (Association générale des fédérations internationales de sport): ce sont elles qui pèsent sur le sport international. La façon dont les élections vont se construire dans ces trois instances, qui seront présidées par trois interlocuteurs du monde sportif, l'équilibre entre les trois, va être assez déterminant dans la façon dont l'AMA va devoir ne pas être simplement la parole du mouvement sportif. Il faut que l'AMA puisse garder cette indépendance indispensable, sans jeter la suspicion sur le mouvement sportif bien entendu. Mais on voit bien les différences existantes sur les contrôles antidopage, entre le rôle des fédérations internationales et celui des agences indépendantes. L'AMA a construit de plus en plus son autonomie, il ne faut pas que ça change".

             Q: Diriez-vous que la lutte contre le dopage est à un tournant?
R: "L'année 2013 est une année importante. Ce n'est pas possible qu'il ne se passe rien après l'affaire Armstrong. On a dit qu'il ne s'était rien passé après Festina et que tout a continué comme avant. C'est sans doute vrai en termes de sportifs qui ont toujours cherché de nouveaux produits, mais ce n'est pas vrai en termes d'autorité internationale. C'est quand même après Festina qu'on a créé l'AMA, qui est un outil auquel presque 200 pays ont adhéré. On n'a pas réponse à tout mais il faut continuer à aller de l'avant".

             Source: leparisien.fr