Le sport 2.0 révolutionne les pratiques



             Se donner rendez-vous pour courir, nager ou pédaler, demander des conseils, afficher ses performances, diffuser des vidéos... Le smartphone voire la caméra vidéo sont devenus des outils à part entière de la panoplie de sportifs, le plus souvent jeunes et en pratique auto-organisée. Un décalage se creuse avec les propositions fédérales centrées sur la compétition. En revanche, de plus en plus de collectivités tentent de suivre le rythme, propositions à l'appui.

             "Le mardi c'est fractionné. Alors n'aie pas peur et viens nous rejoindre un peu avant 19 heures ce soir sur le parking Louis Feuillé (derrière La Poste de Château-Gombert, première à gauche sur le chemin de Palama, 13013). Chacun son rythme, les premiers attendent les derniers alors on vous attend nombreux ! ». Un lieu, un horaire... Au-delà de cet exemple dans les Bouches-du-Rhône, de tels messages sont postés par dizaines chaque jour, sur les réseaux sociaux. L'idée est partout la même: « ne pas pratiquer seul-e », « échanger autour d'une passion commune » ou encore « fédérer une communauté ». Sans contrainte imposée par un club si ce n'est un horaire à respecter. Le mode de faire repose le plus souvent sur une page Facebook ou autre application qui met en relation les runners, joggers et autres adeptes de crossfit ou de fitness ou même de sightjogging, autrement dit, de running touristique ou comment se regrouper pour visiter une ville tout en courant !


Support de lien social

             « Se donner rendez-vous sur les réseaux sociaux est une chose mais l'usage du digital, dans le sport va aujourd'hui très au-delà », constate Julien Fuchs, enseignant-chercheur en Staps, spécialiste de sociohistoire de la jeunesse à la Faculté des sciences du sport et de l'éducation de Brest (Finistère). Il fait surtout référence « à celles et ceux qui communiquent sur leur pratique à travers les réseaux sociaux », en postant des vidéos de leurs exploits, en temps réel. Ou des tutoriels, au fil du temps.

             L'universitaire est également le référent scientifique des enquêtes baromètre de l'UCPA sur la pratique sportive des 16-25 ans, dont un volet réalisé en 2016, a permis de cerner - en partie - ce phénomène de digitalisation (1). Concernant la pratique sportive, sept jeunes sur dix font du sport au moins une fois par semaine contre 58 % parmi les 26-40 ans. Les sports les plus plébiscités étant la musculation, le fitness et le running. «Être ensemble et partager: c'est aussi la motivation première invoquée par les jeunes », constate Julien Fuchs. «La pratique d'un loisir sportif, dans ce contexte, devient le support d'un lien social, pour lequel l'interaction entre pratiquants paraît essentielle. Même individuelle, la pratique donne lieu à du partage, par l'intermédiaire en particulier du digital, et permet un enrichissement personnel ».


À chacun son canal

             L'enquête met en évidence un usage devenu très courant du digital: 40 % des 16-25 ans créent du contenu photo ou vidéo pendant leur activité sportive contre seulement 23 % des 26-40 ans. L'outil le plus utilisé étant le téléphone portable, dans huit cas sur dix. Les auteurs montrent également que l'utilisation des réseaux sociaux est marquée par le type de sport pratiqué. Facebook est ainsi utilisé à 66 % par les pratiquants de sports extrêmes, de glisse et de freestyle; Snapchat, à 40 % par les runners et les danseurs. Et Instagram, à 31 % par les pratiquants de yoga et d'arts martiaux.

             Les sportifs qui créent le plus de contenus sont les pratiquants de sports extrêmes, de glisse et de freestyle. Et pour cause, les deux tiers prennent des photos/vidéos au cours de leur session! Ensuite, presque à égalité, les pratiquants de sports collectifs avec 52 % et les adeptes d'arts martiaux et de yoga avec 51 %. La fréquence de partage de ces contenus est plutôt élevée: 57 % des jeunes publient au moins une fois par mois et 31 % au moins une fois par semaine! Quant aux runners, ils sont les premiers utilisateurs d'applis (51 %) et d'objets connectés (43 %). Outre la pratique, l'enquête révèle que le premier usage du Web lié au sport est la recherche de conseils, dans 53 %.


Essor des pratiques libres

             Cet élan digital accompagne volontiers l'essor des pratiques dites libres ou autonomes. Lesquelles « sont en augmentation. Elles s'avèrent même supérieures à la pratique encadrée », précise le sociologue et consultant Gérard Baslé. D'où la question de savoir comment les acteurs « traditionnels » du sport (clubs, fédérations, collectivités, notamment) intègrent-ils - ou pas - ces modalités de pratiques, à la fois autonomes et 2.0? Julien Fuchs confirme (lire Interview) « le net recul depuis quelques années, de l'importance de la compétition organisée sur un mode fédéral ». Ce qui ne signifie pas que les jeunes se désintéressent de la compétition. «Ils s'inscrivent sur une forme de compétition différente que celle proposée par les clubs. Une compétition qui passe par la communication sur les réseaux sociaux, la publication de leurs performances individuelles. Il est aussi beaucoup question de culte du corps ».

             Du coup, les propositions des clubs sportifs apparaissent à des années-lumière de cette demande sociale. «Les jeunes sont en quête d'une sociabilité qui se couple le plus souvent à l'usage des réseaux sociaux », poursuit le chercheur. «Et les clubs doivent vraiment travailler sur ce plan car la sociabilité qu'ils proposent reste très institutionnelle et traditionnelle ». Presque binaire même, sur un mode: « tu as ta licence, tu fais partie de l'équipe. Tu ne l'as pas, tu en es exclu... ». Décalage avec les clubs

             Entrepreneur/chercheur en marketing territorial du sport, Arnaud Roussel se désole aussi de constater « que les clubs sont surtout orientés vers la compétition. Le décalage entre les attentes des associations sportives et les besoins des pratiquants se creuse ». Lequel s'explique aussi par « le marketing autour des pratiques ». Il cite l'exemple du crossfit, « qui est ni plus ni moins que la réunion de deux disciplines vieilles comme le monde: la gymnastique et l'haltérophilie! » Sous-entendu: les structures fédérales sont totalement passées à côté! À cela vient effectivement s'ajouter ces dernières années, cet aspect digital qui facilite les échanges et les rencontres.

             Là encore, de nombreuses associations sportives ne brillent pas en la matière. «À quelques exceptions près, la notoriété ne suffit plus pour attirer du monde. Il faut, ce que les spécialistes du marketing appellent, de l'engagement ». Il peut s'agir par exemple d'utiliser largement les réseaux sociaux pour faire la promotion de sa discipline et de sa communauté. «Le numérique permet de créer des groupes et des ambassadeurs identifiés, lesquels sont par ailleurs susceptibles d'attirer de grandes marques. On en est loin dans les clubs... ».


Aménager l'espace public

             Du côté des collectivités enfin, de nombreuses initiatives sont apparues ces derniers mois pour intégrer cette pratique autonome digitalisée, sinon l'accompagner. À l'image de Lyon (lire p. 13) mais pas seulement. Istres (Bouches-du-Rhône) a transformé trois parcours-santé forestiers et urbains plutôt old school, en circuits interactifs. Un flashcode a été intégré à des bornes dédiées et les sportifs peuvent visualiser des exercices à réaliser sur les agrès, depuis leur smartphone. Sans oublier une note touristico--pédagogique apportée à la pratique, selon l'endroit où l'on se trouve.

             À Brest (Finistère), l'idée d'une plateforme qui mette en relation des usages (sites de pratiques, clubs...) et des usagers fait doucement son chemin... Elle s'adresserait « à tous types aux pratiquants autonomes comme aux structures associatives », imagine Gaëlle Desmas, adjointe à la direction des sports. «À chacun de se diriger vers son propre canal, en fonction de ses envies, de son niveau, etc. Par exemple, un club pourrait très bien ouvrir et proposer des créneaux spécifiques à un public plus large dans tel ou tel équipement. Quant aux pratiquants auto-organisés, ils pourraient se donner rendez-vous, livrer leurs commentaires, etc. Il est important de les prendre en compte car ils font vivre l'espace public ».

             D'où cette idée d'aménager l'espace public pour y faciliter la pratique d'activités physiques, qui est en vogue dans de nombreuses villes françaises, de toutes tailles, de Nantes (Loire-Atlantique) à Lavelanet (Ariège). Et pour cause, « cette dimension d'urbanisme sportif constitue la clé de la démocratisation du sport. Ne serait-ce que pour lutter contre le fléau de la sédentarité », conclut la technicienne brestoise.

(1) L'enquête « Les 16-25 ans et les loisirs sportifs » a été réalisée en ligne par OpinionWay, du 21 au 27 juin 2016, auprès d'un échantillon de 1 000 individus représentatifs de la population française âgée de 16 à 25 ans selon la méthode des quotas.


À Épinal, le Parkour a son stade !

             C'est la discipline urbaine par excellence, loin des codes sportifs, un brin transgressive dans un environnement urbain pas forcément conçu pour être escaladé ou sauté! Le Parkour séduit de plus en plus d'adeptes, le plus souvent accros aux réseaux sociaux pour se réunir ou communiquer sur leur pratique. C'est particulièrement le cas à Épinal (Vosges). En 2014, Philippe Guibert, le directeur des sports, nous avait confié (2) être allé à la rencontre d'une poignée de jeunes qui démarraient la discipline, dans sa ville. Une association s'était alors créée. Et le 3 juin dernier, Michel Heinrich, le maire, a inauguré « une nouvelle structure de parcours sportif libre », dédiée à la pratique du Parkour. (2) Acteurs du sport n° 178.


Accès connecté: les gymnases en retard

             Si les clubs doivent évoluer face à une demande sportive de plus en plus variée, il en est de même des équipements. Avec à la clé, des réflexions à engager au sein des collectivités sur l'assouplissement de la mise à disposition de leurs gymnases, stades et autres piscines. Le sociologue et consultant Gérard Baslé souligne que « les plus en avance sur le plan de l'accessibilité sont les centres nautiques ». Président de l'Association nationale des directeurs d'installations et des services des sports (ANDIISS), Marco Sentein cite, lui, les courts de tennis avec « réservation des créneaux en ligne et code d'accès pour pénétrer sur le court ». En revanche, les gymnases sont à la traîne, avec une mise à disposition quasi exclusive aux écoles et aux clubs. À cause bien sûr des problématiques de sécurité. Pour Éric Adamkiewicz, maître de conférences en management du sport (université Toulouse III-Paul Sabatier), la solution pourrait passer par « des systèmes d'accès régulés et individualisés puis la mise à disposition de personnel pour la surveillance des séances ». Avant d'ajouter: « mais qui le fera dans un contexte où elles savent qu'elles perdront de l'argent ? ».


Source : Acteurs du Sport